nature | Conférence | |
sujet | L'eau dans la ville | |
titre | L’eau pluviale dans la rénovation de nos cités, étude de cas : l'Arlequin de la Villeneuve à Grenoble | |
auteurs | Frédéric Dellinger (ERANTHIS), Thomas Moronnoz (INGEROP) | |
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Le projet de rénovation urbaine
Le quartier de l’Arlequin de la Villeneuve à Grenoble fait l’objet d’une convention avec l'Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine signée le 3 juillet 2008. Le réaménagement des espaces publics s’inscrit dans le cadre d’un plan guide établi en 2012 par les Ateliers Lion Associés, architecte et urbaniste dont les évolutions de projets sont portées depuis fin 2015 par l’équipe pluridisciplinaire menée par Passagers des villes.
Le quartier de la Villeneuve, en particulier le secteur de l’Arlequin, a été construit durant les années 1969 à 1972 sur la base d’une utopie urbaine développée par l'Atelier d'Urbanisme et d'Architecture (AUA), rassemblé autour de Jacques Allégret. Il s’organise autour d’un grand parc central, une galerie couverte de distribution et un certain nombre d’équipements publics : groupes scolaires, collèges, commerces, centres sportifs, salles de spectacles. Les équipements sont plutôt tournés vers le parc, tandis que les abords du quartier sont dédiés à la mobilité (nouvelles artères urbaines, parkings aériens et en ouvrages). Le quartier est desservi depuis 1987 par la première ligne de tramway de la Métropole Grenobloise de Grenoble, permettant de rejoindre le centre-ville en moins de 20 minutes.
Les grandes lignes du projet de renouvellement urbain présentent pour ambitions principales l'ouverture du parc sur la ville, la rénovation et la reconstruction des parkings en ouvrage et la démolition de la moitié des parkings silos historiques, l'amélioration de la visibilité de l’adressage et la rénovation des espaces publics et des immeubles conservés. Les démolitions permettent de créer trois grands axes piétons : l’allée du Parc au Nord, à proximité de l’arrêt de tramway La Bruyère s'inscrivant dans le prolongement de la rue A. de Musset desservant le quartier historique du Village Olympique et le quartier plus récent Vigny Musset, l’allée du Marché, au centre, entre la place du marché et l’arrêt de tramway Arlequin et l’allée de la Piscine, au sud en direction des écoles et des équipements sportifs.
Le premier quart de la rénovation urbaine initié en 2013 et 2014 s’est déroulé sous la forme de reprise totale des espaces publics, de déploiement de rues classiques, de renouvellement complet de la trame arborée, de la collecte des eaux dans le réseau existant rénové.
Notre équipe, composée d'une ingénierie, Ingérop, basée à Grenoble et Eranthis paysagistes concepteurs d'espace public lyonnais, a conduit depuis novembre 2016 la suite des études et achevé aujourd’hui la majeure partie des travaux planifiés dans le premier programme de l'ANRU. Nous avons en premier lieu repris les études et intégré deux nouveaux enjeux : la gestion des eaux pluviales par infiltration et le NOVATECH 2019 3 déploiement de nouveaux espaces verts en conservant la plus grande partie de la trame arborée en bonne santé. A noter que le maintien des arbres existants introduit des contraintes fortes de calage géométrique et de nivellement. Le projet présenté permet de gérer en infiltration, sur l’ensemble des espaces requalifiés, à minima les pluies quotidiennes et souvent les pluies d’occurrences biennales à trentennales. En conséquence, une partie du réseau existant a pu être abandonné sans nécessiter de rénovation. Bien que le quartier présente de nombreux espaces verts, son organisation ne permet pas de gérer en intégralité les eaux pluviales. En effet les eaux pluviales des bâtiments sont collectées en leur centre et conduites dans de larges galeries souterraines multi-réseau ayant pour conséquence d'abaisser le fil d'eau des canalisations d'évacuations. Ainsi, reconnecter le réseau intérieur aux espaces extérieurs s'est révélé à la fois beaucoup trop couteux et aurait nécessité des interventions lourdes sur le bâti.
Sur les espaces extérieurs, les facteurs limitants de la gestion des eaux pluviales par infiltration sont constitués de quelques lentilles d’argiles ponctuelles, de sols présentant des perméabilités assez faibles de l'ordre de 3 à 8x10-6 m/s et des infrastructures du tramway (plateforme et réseaux multitubulaires) qui longent la nouvelle rue M. Dodero. Toutefois, l’ensemble des eaux pluviales ruissellent dans un espace planté, et, quand c’est nécessaire pour les grosses pluies, une surverse vers le réseau est mise en place afin d'éviter les inondations des espaces de circulation.
Le projet hydraulique
Le site s’organise autour de quatre sous-secteurs : les « criques » nord, Centrale et sud et la nouvelle rue M. Dodero reliant les secteur nord et sud. Le nom de « crique » a été donné à des sous -ensembles urbains lors de la création du quartier. Une grande partie de la Crique nord a été réaménagée de façon "classique" en 2013-2014, préalablement à notre intervention.
L'enjeu du projet d'espaces publics d'ouvrir le quartier et de déployer de nouveaux espaces verts constitue un axe de développement très favorable aux gestions alternatives des eaux pluviales. Ainsi l'espace de la crique centrale d'une surface de 1,8ha était minéralisé à 90% depuis la création du quartier de l'Arlequin avec la présence de deux parkings silos en ouvrages et les eaux de pluie étaient directement collectées pour être rejetées à l'Isère. A l'issue des opérations de rénovation urbaine du premier programme de l'ANRU, le taux d'imperméabilisation des sols de la crique centrale a pu être réduit à 50% grâce aux démolitions des parkings en ouvrages et la mise en place deux grandes pelouses extensives pour la détente.
Pour la gestion des eaux pluviales sur ce projet, deux grands types d’ouvrages hydrauliques ont été mis en œuvre : des jardins de pluies et des dépressions engazonnées, parfois associées à des puits d’infiltration. Les jardins de pluies accompagnent les nouvelles rues et les dépressions engazonnées les espaces piétons et les espaces verts. Plan masse – source Eranthis-Ingérop
Dans le secteur nord, nous avons réalisé l’allée du Parc et la nouvelle rue Colombine. Les espaces verts accompagnant l'allée du parc sont tous traités en légère dépression et recueillent l’ensemble des eaux pluviales de ce secteur. En deux points bas, nous avons dû, a posteriori, compléter le système par des puits d’infiltration. Même si l’hypothèse d’une strate argileuse imperméable et localisée reste possible, nous pensons que cette situation résulte d'un colmatage / compactage du fond de forme en phase chantier, avant la mise en œuvre de la terre végétale. Nous avons profité de cet incident pour sensibiliser le personnel des entreprises d'aménagements urbains à la préservation des matériaux drainants contre les pollutions extérieures, sources de colmatage.
La rue Colombine est bordée de deux jardins de pluie plantés d’arbres. Celui au nord recueille les eaux pluviales du trottoir, du passe-pied, du stationnement et de l’intégralité de la voirie. Celui au sud est en attente du projet du pôle jeunesse et de son parvis qui devront tamponner / infiltrer les eaux pluviales in situ. Les arbres, plantés dans un mélange terre / pierre, favorisent aussi le stockage et l’infiltration. La rue Colombine ayant une pente en long de l'ordre de 1%, les jardins de pluies ont été organisés en trois casiers en cascade séparés par des batardeaux en béton. L’eau de voirie et de stationnement traverse le passe-pied au nord dans un caniveau grille pour rejoindre le jardin de pluie.
La rue M. Dodero, nouvellement créée, longe le tramway et assure une nouvelle liaison nord-sud. Il s’agit d’un espace partagé (zone 20) bordé de stationnement en talon. L’ensemble de cet impluvium est recueilli dans un long et étroit jardin de pluie, localisé entre la rue et la plateforme du tramway. Une grande partie de ce jardin surplombe un réseau multitubulaire bétonné du tramway, ce qui en limite fortement les capacités d’infiltration. C’est pourquoi ce jardin présente tous les 40m environ, une grille de surverse au réseau positionnée, en légère surélévation du jardin, à l’altimétrie de la voirie. A ce jour, malgré les nombreuses pluies survenues depuis la réalisation, la mise en fonctionnement de ces surverses n'a pas été observée. Ces jardins de pluies présentent aussi l'avantage d'être en connexion hydraulique directe avec les fosses terre / pierre des arbres plantés entre les places de stationnement.
Dans la crique sud, le nouveau parking encadre un large jardin de pluie arboré. La rue et l’allée de la Piscine renvoient leurs eaux dans une large noue. Une partie des abords du parking silo conservé et rénové deviennent des espaces verts permettant de stocker les eaux de pluie. Sur le parking extérieur au sud, couronné de platanes matures, plantés dès l'origine du quartier, nous avons remonté le niveau de la voirie et du stationnement pour envoyer les pluies quotidiennes vers le pied des arbres existants conservés. Nous ne pouvions toutefois pas remonter l'ensemble des voiries et avons donc intégré, des surverses en surélévation dans les espaces verts.
Les premiers enseignements
Ces aménagements sont tous récents et pourtant ils sont déjà porteurs d’enseignements :
/ Il est difficile et complexe de bien faire réaliser les ouvrages hydrauliques paysagers par les entreprises, en particulier quant à la vigilance à ne pas compacter les fonds de formes infiltrant et à tenir les altimétries des modelés paysagers. L'exécution de ces travaux nécessite une sensibilisation du personnel des entreprises et le développement d'un savoir-faire accru sur la vigilance à apporter aux phases critiques de terrassement et de mise en œuvre des substrats de plantation. Un des enjeux du projet a été l'amélioration auprès des entreprises exécutantes de la bonne compréhension des logiques hydrauliques à l’œuvre dans ces "ouvrages" de paysage urbain.
/ Le site reste hétérogène en termes de capacité d’infiltration superficielle et le projet doit composer avec le bâti existant. Il est donc nécessaire de garder des surverses de sécurité adaptées pour gérer les premières pluies directement dans les espaces paysagers du site.
/ Suite aux plantations en automne 2017 et printemps 2018, Grenoble a connu un été très sec. Les végétaux dans les noues et jardins de pluie ont particulièrement bien résisté. Même s’il n’est plus à prouver, cela démontre encore une fois combien il est important de concevoir de manière concomitante et coordonnée le projet hydraulique et le projet paysager.
/ Dans un quartier au contexte sociologique délicat, nous observons un respect des nouveaux ouvrages hydrauliques paysagers créés. Des nombreuses personnes, vivants et habitants au sein du quartier nous ont fait part de leur satisfaction quant aux opérations de renouvellement urbain réalisées.